TORTUES DE MER A JOAL
La
parade contre l’extermination
A
la lisière du Domaine privé de Ngasobil qui s’étend sur 450 hectares, en face
de la mer, non loin du collège des futurs prêtres, se découvre un paradis
terrestre pour les tortues de mer. L’endroit, l’une des nombreuses aires
marines les mieux protégées, est le lieu de nidification de cette espèce en
voie de disparition à Joal-Fadiouth.
Pour savoir d’où provient la
menace, il faut remonter à plus d’une dizaine d’années, quand la tortue de mer
entrait dans la chaîne alimentaire des humains, à côté des oiseaux prédateurs.
En effet, révèle Abdou Karim Sall, Consultant en gouvernance partagée, la
population de Joal se la procurait auprès des pêcheurs dont l’activité était
plombée par la rareté du poisson en mer. «Il
y a une vingtaine d’années, ici à Joal, le kilogramme de tortue était vendu à
125 F Cfa pendant que le kilogramme de la viande de bœuf était de 1400 F Cfa.
La tortue se vendait donc moins chère. Les populations des villages
environnants notamment Fadial, Samba Dia, Ndianda etc.., en raffolaient.
C’était un marché juteux. Les pêcheurs
qui ne voulaient pas revenir bredouille de la mer, passaient à la marre des
tortues, attraper une centaine et les vendre à 500 F Cfa l’une. Cet argent leur
permettait de compenser les frais de carburant. Le reste, ils ne s’en fichaient
pas mal», explique M. Sall, également président des Aires marines protégées
de l’Afrique de l’Ouest.
Ce fervent défenseur de
l’écosystème marin à Joal, raconte qu’une tortue peut pondre jusqu’à 150 œufs
dans un nid de 50 centimètres de diamètre. Mais, seuls 4 à 2 % des tortillons
atteindront l’âge de la reproduction. Une tortue met douze ans pour se
reproduire. Compte tenue de la menace qui plane sur cette population
vulnérable, il est donc urgent de la protéger.
En 2009, 517 tortillons ont
été relâchés à partir de 13 nids, indique notre interlocuteur qui souligne
qu’une action concertée entre les populations, les services des Eaux et Forêts
et le domaine privé de Ngasobil a été enclenchée pour faire face à la menace de
disparition de la tortue de mer. «Au
début, on s’était dit qu’il ne fallait pas commencer par la répression, qu’il
fallait sensibiliser sur l’importance de la tortue de mer sur l’écosystème
marin, aider à une reconversion des activités économiques en mettant l’accent
sur les gens qui la commercialisaient. Ils ont été identifiés et convaincus de
ne plus acheter les tortues de mer à des fins mercantiles. Cela a permis de
briser la chaîne alimentaire, puisque quand ils ne vont plus les acheter, les
pêcheurs ne vont plus les attraper ; et quand ils ne vont plus les vendre,
les consommateurs ne peuvent plus se les procurer», confie ce fils du
terroir. A l’en croire, pour éviter que les efforts fournis jusqu’ici soient
vains, «des financements ont été
octroyés, grâce au concours du Fonds mondial pour la vie sauvage (WWF, en
anglais) à ces anciens prédateurs de la
tortues de mer devenus de farouches protecteurs de cette espèce».
Ainsi donc, Joal est parvenu à
éduquer sa population qui est passée de plus grande mangeuse de tortues de mer
à plus grande protectrice de tortues de mer réunie en association. Unique au
Sénégal, d’après Abdou Karim Sall.
Selon lui, les moyens
coercitifs de lutte contre la chasse aux tortues de mer ont été relégués au
second plan ; et pour arriver à ce résultat, il fallait engager le combat
par une démarche intelligente compte tenue des réalités locales, tout en
respectant les Conventions signées par le Sénégal et qui sont sanctionnées par
des peines d’emprisonnement allant de un à deux ans. «A Joal, je ne voie plus de gens qui se nourrissent de tortues», se
réjouit ce «géni protecteur» de la
tortue de mer.
Le
chemin du retour au pays natal
Il n’y a pas que Césaire le
poète qui songe à retourner au bercail dans son roman Cahier d’un retour au pays natal. Des études prêtent une faculté
étonnante à la tortue de mer. C’est que les bébés de tortues reviennent
toujours à leurs sites natals dès qu’elles atteignent l’âge de reproduction. «Souvent, on nous signale des tortillons en
plein ville, ce qui veut dire que la tortue qui a donné naissance à ces
tortillons était née au même endroit il y a une dizaine d’années. Ce sont des
tortillons que nous amenons en mer pour leur donner la chance de donner naissance
sur cette terre qui les a vu naître», raconte passionnément Abdou Karim
Sall.
Tout comme la ponte,
l’éclosion des œufs, au bout de 70 jours en moyenne, qui se fait la nuit est un
spectacle vécu en direct par les populations majoritairement constituée de
touristes qui tentent d’immortaliser les secondes d’un assaut vers la mer,
malgré les vagues impitoyables et les oiseaux prédateurs.
Abdoulaye
SIDY
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