LA SAGA D’UNE FAMILLE
EMBLEMATIQUE
Senghor : une
naissance, deux versions
C’est un
véritable jeu de ping-pong entre Djilor et Joal autour de la naissance de
Léopold Sédar Senghor. Si à Djilor, on croit dur comme fer que le
président-poète y a vu le jour, à Joal, c’est tout le contraire qui est
soutenu. Dans ces deux entretiens qui vous sont proposés sous forme de regards
croisés, on est allé à la découverte de Diogoye, le père, Gnilane Bakhoum, la
mère et des autres ascendants de Senghor. Une histoire jamais racontée par le
passé.
DJIBY
DIOUF, TABOR DE SENGHOR A DJILOR
DJIDIACK
Très actif dans l’écotourisme à Djilor, Djibril
Diouf, 53 ans, est de la lignée matriarcale de Léopold Sédar Senghor connue
sous l’appellation en Sérère de Tabor. Après 17 ans passés en France, il travaille aujourd’hui autour du royaume
d’enfance du premier président de la République du Sénégal, Léopold Sédar
Senghor.
Le
DIOGOYE :
Comment vivez-vous la rivalité saine
avec Joal par rapport à l’existence de
Senghor ?
Djibril
Diouf :
Il n’y a pas de rivalité, parce que les gens de Joal disent que Senghor est né
à Joal ; et nous, nous savons que Senghor est né ici à Djilor, le 15 août
1906, sous le signe du Lion. Dans le temps, Ngasobil était là où résidaient les
missionnaires catholiques. C’était l’Eglise. Tous les enfants catholiques qui
étaient nés à Djilor devaient être regroupés dans une cohorte pour être amenés là-bas
afin d’être baptisés. Donc, si un enfant était né après, il devait attendre un
an pour être baptisé. D’ailleurs Senghor l’a bien décrit. Il dit que les gens
polémiquent, mais, même s’il était né à Joal, il a grandi à Djilor.
Donc sa
mère Gnilane Bakhoum habitait à Djilor ?
Sa maison est juste derrière ici (à une
vingtaine de mètres de la maison natale de Senghor, près de l’arbre qui porte
le nom de Fagapa).
En 1973,
Senghor a fait construire un tombeau à côté de celui de Diogoye à Joal, mais
qui est toujours vide. Et il y a même la famille de Senghor qui réclame le
rapatriement de ses cendres à Joal ?
Mais vous savez, dans la culture Sérère quand
une personne meurt, c’est la lignée maternelle qui est très importante. C’est
nous même qui nous sommes occupés des funérailles de Senghor, ce ne sont pas
les gens de Joal-Fadiouth.
Mais ils
étaient là-bas…
J’étais là-bas, j’étais venu de France à 11
heures 35 minutes, je garde d’ailleurs le badge famille qui m’avait été affecté.
C’est nous les Tabor, c’est-à-dire
les gens de la lignée maternelle dans la culture Sérère qui nous sommes occupés
de la dépouille de Senghor. Nous sommes originaires de Gnilane Bakhoum, la
maman de Senghor et la culture Sérère est matriarcale. C’est l’oncle qui
s’occupait de tout, en particulier de l’éducation des enfants. D’ailleurs,
c’est Tocko Waly qui était le frère de Gnilane qui s’occupait de l’éducation de
Senghor. Pourquoi ? Parce que Diogoye Basile Senghor, le papa de Senghor
avait cinq femmes et quarante et un enfants. Donc, il n’avait pas de temps à
consacrer à tout le monde. Chaque oncle s’occupait de son neveu. Et Tocko Waly
prenait Léopold sur ses épaules pour l’emmener dans les champs rencontrer les
bergers. D’ailleurs, c’est pourquoi il parlait beaucoup de ce royaume
d’enfance. Et comme Diogoye Basile n’aimait pas le goût paysan de l’oncle de
son fils, il l’a arraché ici pour l’amener à Ngasobil, le confier d’abord au
curé pour qu’il lui apprenne le français avant d’intégrer le séminaire.
Cela veut
dire que Senghor était plutôt du côté de son oncle ?
Oui, de sa maman et de son oncle.
Dans
quelle concession ?
Il était là, juste à côté (au domicile de sa
mère). Il fuguait beaucoup (il se répète). Et le papa le récupérait pour qu’il
ne devienne pas paysan. C’est pourquoi, il l’a enlevé d’ici.
Et c’est
peut-être pour cela, il n’est pas devenu prêtre ?
Il devait être prêtre, mais comme il faisait
partie des séminaristes les plus intelligents, tout ce que disaient les curés,
lui, Senghor, avait son mot à dire dans le bon sens du terme. Et comme les
curés n’avaient pas l’habitude d’être contredits, il fallait le virer.
Ce que
vous dites est assez original, par rapport à ce qui se dit. Il semble que les
gens ont toujours caressé dans le sens du poil ?
Abbé Jacques Seck qui est un curé respecté et
qui est de Joal est venu ici à Djilor. Il a dit aux gens de Joal : ne vous
cassez pas la tête, Senghor est né à Djilor. Oustaz Ndour de la radio La Côtière avec qui il était l’a confirmé.
Tous ceux qui soutiennent que Senghor est né à Joal s’agitent pour rien.
Y a-t-il
aujourd’hui une rivalité entre la famille patriarcale et la famille matriarcale
de Senghor ?
Nous, nous ne nous occupons même pas d’eux.
Quand il y a des gens, par exemple des personnalités qui viennent ici pour
apprendre quelque chose sur la lignée maternelle de Senghor, on est là pour
leur apprendre la vérité.
Est-ce
que ce n’est pas pour cette raison que cette maison qui a vu naître Senghor est
abandonnée et que vous lui tournez le dos ?
Cette maison n’est pas la nôtre. C’est celle de
la lignée paternelle. Nous, on n’ose pas la toucher. Ce qu’on doit hériter de
sa lignée paternelle ou de sa lignée maternelle suit une voie normale. On n’ose
pas la toucher.
Mais,
vous considérez que cette maison n’appartient pas à Diogoye ?
Pour
nous, cette maison appartient à toute l’humanité. Mais quand même, il y a toute
une histoire autour de cette maison.
Vous
dites que Senghor est parti de cette maison à sept ans, qu’il a gardé un
souvenir de Djilor. Est-ce qu’il est revenu après quand il écrivait ses poèmes.
Il est bien passé dans la maison et il en a
gardé des souvenirs. Moi, à sept ans, il
y a des choses qui m’ont marqué dans la vie. On m’avait confié à une famille à
Dakar précisément à Grand-Dakar qui m’envoyait acheter du vin. J’étais souvent
annoncé à la radio parce que je me perdais toujours dans la nature. Ça, je ne
l’oublierai jamais.
Mais,
très certainement, il revenait aussi quand il était président de la
République ?
Il venait sans garde du corps. Il était souvent
en hélico et faisait le tour du village trois fois. Tout le monde sortait, et
il serrait la main aux gens sans garde du corps avec son fils Philipe.
Mais,
avant de se lancer dans la vie politique dans les années 1940, quand il
revenait, il passait ici ?
Il revenait ici. C’est sa maman qui l’avait
beaucoup marquée. Moi, je vais vous faire une révélation. Tout ce qui est
Diogoye Basile Senghor n’a pas été très bien apprécié ici à Djilor. Parce qu’il
a récupéré pas mal de terres en faisant boire jusqu’à l’ivresse et
l’inconscience des gens à qui il achetait des terres. Ah oui, il faut le dire.
Senghor lui-même l’a dit. Vous lisez les poèmes, Senghor s’est révolté à l’âge
de sept ans, pourquoi ? Un gamin de sept ans, ton papa te nourrit, tu te
révoltes et tu veux la faillite de ton père. Ce n’est pas normal. Il y a
problème.
Est-ce
que Senghor a eu des demi-frères et des demi-sœurs ?
Ah oui, ils sont 41 enfants au total.
Non,
plutôt dans la lignée maternelle de Gnilane ?
Oui, il a des frères et deux sœurs Sanou et
Dior. Ils sont au nombre de six de même père et de même mère. Dior Senghor qui
est musulmane était à Kaolack. Elle est à la mère de l’ancien maire de Kaolack Diène
Bacar Guèye. Il y a également Sanou, et souvent les toubabs me posent la
question de savoir «Kor Sanou veut dire
quoi ? Je leur réponds : «le mari de Sanou». Mais en réalité, on ne
peut pas être le mari de sa sœur. C’est que dans la culture Sérère quand tu
entres dans l’arène pour lutter, puisque Senghor aimait beaucoup la lutte,
c’est ta sœur qui donne le premier pagne que tu va nouer. Donc, la fierté
d’être la sœur de …, que Senghor évoque dans ses poèmes.
Qu’est-ce
que vous faîtes pour valoriser le patrimoine de Gnilane Bakhoum à Djilor ?
On sait qu’il y avait des arbres au pied
desquels elle faisait ses rituels. On aurait aimé que la fondation Senghor soit
présente dans toutes les activités que nous organisons ici à Djilor. On les a
invités au festival Sons et Lumières sur la mort de Senghor à Djilor, mais on
n’a vu personne. La concession de l’oncle de Senghor est là, dans un état de
délabrement avancé. Au cimetière mixte du village, le tombeau de la maman de
Senghor (1861-1947), est en marbre tandis que celui de son oncle est en ciment (il en rigole).
Comment
Diogoye Basile Senghor s’est retrouvé à Djilor ?
Diogoye Basile Senghor aimait consulter les voyants.
Un jour, un voyant lui a dit, mon cher, vous pouvez faire fortune, mais pour
cela, il faut aller vers l’est de Joal, vous tomberez dans un village sans
citer de nom. C’est en vendant qu’il est tombé dans ce beau village de Djilor
où vivaient déjà des fils de roi.
Vous
voulez dire que Diogoye Basile Senghor n’est pas de Djilor ?
Non, Diogoye n’est pas d’ici. C’est le commerce
qui l’a mené jusqu’ici. C’est plutôt Gnilane qui est d’ici. Quand Diogoye a vu
que le fils de Djidiack Salbé, le roi fondateur de Djilor aimait faire la fête,
et n’avait pas les moyens de faire plaisir à ses hôtes, il décida de lui
fournir de la liqueur pour mieux se rapprocher de ce prince. Son astuce était
donc de saouler gens pour leur acheter les
terrains. Beaucoup de familles ont ainsi perdu leurs terres. Les anecdotes ne
manquent pas sur cet épisode de Diogoye. C’est quand Senghor est devenu
président de la République en 1960 qu’il a redonné toutes les terres aux gens.
C’est
donc la contestation qu’il avait à l’égard de son papa ?
Mais il l’a écrit dans ses poèmes. Les gens ne
veulent pas le comprendre. Ceux qui savent décoder les poèmes de Senghor et en
pénétrer le sens comprennent ce qu’il veut dire.
Cela veut
dire que vous-mêmes, vous n’avez pas adopté le papa de Senghor, Diogoye Basile.
Vous l’avez plutôt rejeté ?
Les gens avaient peur de lui. Les gens se sont
révoltés contre lui, parce que là où est construite cette maison familiale
était le patrimoine mystique du village. Il avait dit à Djidiack, moi je veux
là, à l’endroit même où se trouvait toute la force mystique du village (l’arbre
sacré). Comment voulez-vous que les gens vous aiment alors que vous vous êtes
installés sur ce qui leur appartient. Ce n’est pas pour rien qu’ici quand vous
parlez de la famille paternelle de Senghor, personne ne vous prête attention. Diogoye
qui est venu de Joal, a fait comme les blancs qui venaient saouler les
propriétaires terriens.
Est-ce
que Diogoye Basile Senghor a été à l’école ?
Diogoye était un très grand commerçant. Il
était élevé par une famille mulâtresse. Ce monsieur travaillait dans
l’arachide. D’ailleurs, en lisant le poème Le
Commerçant, c’est là que Senghor s’est révolté contre son père. Dans ce
poème l’enfant Senghor voulait la faillite de son propre père.
Mais
est-ce qu’il était alphabétisé, scolarisé. On a vu qu’il est en costume,
cravate, nœud de paillon ?
Non Diogoye n’était pas scolarisé, mais comme
il était dans une famille mulâtresse, ce sont des gens qui savaient déjà
compter l’argent.
Combien
d’années Diogoye a-t-il vécues ?
Il est mort en 1933. C’était l’année où Senghor
s’est présenté à l’agrégation en grammaire française de Senghor. C’est en 1933,
qu’il a eu l’agrégation à l’écrit et non à l’orale. Ils lui ont dit, mon gars
il faut revenir, il est resté deux années, salvateur, il est revenu en 1935, et
c’est en ce moment qu’il a eu son agrégation en grammaire française. Son papa
est décédé durant cette période. Quant à sa maman, elle est morte en 1948.
Senghor est parti du Djilor en 1913 à 12 heures 50 minutes. Il avait sept ans.
Son père ne voulait pas qu’il suive les pas de son oncle paysan. Lui, Diogoye
avait cinq femmes. Diakher et Niarou à Joal, Gnilane et Kangou à Djilor et Dior
Dieng, une Signare de Gorée.
Dans
l’ordre d’arrivée des épouses de Diogoye, quel rang occupait la maman de
Senghor ?
Gnilane Bakhoum était la troisième épouse parce
qu’elle était déjà mariée à un monsieur. Elle a un premier enfant qui n’est pas
de Diogoye Basile qui s’appelle Mbanyilane Diome et qui a des enfants dans ce
village. A chaque fois que Diogoye passait par là, un vieil homme du nom de
Khamat Téning Ndé Yaboune avec qui il conversait lui tenait ce langage : «cette
femme que vous voyez passer, il vous la faut. Elle vous donnera un enfant qui
aura une notoriété internationale ». Mais, Gnilane Bakhoum était l’une des
femmes les plus vilaines du village. Et Diogoye rétorquait que «cette femme est
vilaine que je ne la veux pas». Mais face à
l’insistance du vieux sage, il finira par épouser Gnilane.
Vous
voulez dire que c’est par opportunisme que Diogoye s’est marié avec Nyilane
Bakhoum.
Voilà. D’ailleurs, Senghor n’a jamais été
contre la polygamie, parce qu’il dit que s’il n’y avait pas la polygamie,
peut-être qu’il ne serait pas né.
En tant que résidant de
Djilor, que représente la maison qui a vu naître le Président-poète Léopold
Sédar Senghor ?
On aurait beaucoup aimé que cette maison soit
un patrimoine national. Mais, cette maison est un peu abandonnée. Pour les gens
du village, c’est notre patrimoine, mais comme on n’a pas les moyens de pouvoir
la rénover, c’est un peu dommage. La maison est délaissée.
Le
ministère de la Culture avait pris l’engagement de rénover cette maison, et
c’est d’ailleurs ce qui serait à l’origine de sa fermeture. Comment avez-vous
accueilli cette nouvelle ?
Si c’est le cas, je dirais que c’est un peu
tardif, parce que pour moi qui travaille autour du royaume d’enfance de Senghor
ici à Djilor depuis des années, je n’ai jamais rencontré un plénipotentiaire du
ministère de la Culture. C’est la région du Poitou-Charentes dont le Conseil
régional est présidé par Ségolène Royale qui s’occupe de la réfection de la
maison natale de Senghor de Djilor Djidiack, pas celle de Joal. Parce que la
région du Poitou-Charentes, en France où j’ai vécu 17 ans, s’occupe du
développement de Fatick, donc ils ont pris l’engagement de rénover la maison de
Diogoye Basile Senghor, le papa de Léopold Sédar Senghor qui est à Djilor.
L’Etat a
entrepris la décision de faire de cette maison un musée. Comment trouvez-vous
cette mesure ?
C’est notre souhait (il se répète). Et l’on
attend. Nous travaillons à fond là-dessus, vous avez vu l’état de dégradation de
la maison. C’est le problème des maisons familiales du côté de la lignée
paternelle parce qu’ils ne font rien du tout, quand bien même ils sont tous
bien placés. C’est pourquoi, quand ils viennent à Djilor, on ne les considère
même pas.
Comment
vivez-vous les suites de la vie de Senghor. Son départ, ce qui a été fait. Quel
est votre sentiment ? Êtes-vous satisfaits, frustrés ou vous sentez-vous
désabusés ?
Oui, c’est très complexe. Nous, on aurait aimé
que cette maison soit mieux considérée. Je trouve que c’est une fierté pour les
fils du terroir. Parce que si Djilor est connu, c’est grâce à Senghor. Chaque
année, on est fier d’organiser au mois de mars un festival pour commémorer la
mort de Senghor. On invite souvent l’Etat sénégalais, les ministères, mais on
ne les voit pas.
Qu’est-ce
qu’on peut présenter à Djilor à toute personne curieuse de connaître davantage
Senghor, le Président-poète ?
Il n’y a
pas grand-chose hein ! Je n’ai pas honte de le dire. Nous, on sait que
Senghor est né ici le 15 août 1906. Il y a des anecdotes qui n’ont jamais été
mentionnées dans les bouquins. Le fait que les gens viennent visiter Djilor,
c’est grâce à Senghor. Sur le plan touristique, cela rapporte un plus au
village. Les gens ne viennent pas seulement pour l’emplacement de Djilor, mais
pour le village natal de Senghor. Il y a des passionnés qui font le pèlerinage,
qui viennent jusqu’à cette maison-là, parce que cette maison était la deuxième après la maison de Joal.
Senghor est né ici en 1906 ; et de 1906 à 1913, il est parti à Ngasobil
pour être séminariste. Donc, c’est une fierté d’avoir cette maison-là pour nous
les gens de Djilor.
Vous
parlez d’anecdotes qui n’ont jamais été soulignées dans les écrits sur Senghor,
quelles sont ces anecdotes ?
On sait que Senghor aimé beaucoup le côté
mystique, c’est pourquoi d’ailleurs, il parlait beaucoup de la lignée
maternelle de Nyilane Bakhoum, sa maman qui croyait aux mystiques, notamment
les arbres sacrés. Il l’a beaucoup décrit dans ses poèmes. Ce village, quand
même, a été fondé en 1530 ; et ce n’est pas la famille Senghor qui l’a
fondé. Il est fondé par un certain Djidiack Salbé Faye dont le nom de Djilor
Djidiack qui était un dissident du Roi du Sine qui nous est venu d’un petit
village de Sine du nom de Nékhane, et avant de venir ici, il est passé par
Djilor Foundioune qui est un arrondissement. Et là, il a été hébergé par Ballé
Sougou, un roi appelé Ballé Ndao dans les bouquins. De là-bas, il a transité
ici en passant par Simal, le village d’à côté. De Simal, il apercevait une
lueur blanche qui avait la forme d’une femme. Cela veut dire que le village
était déjà habité et cette femme qui s’appelait Fagapa. (Fagapa est un endroit où se trouve un baobab de petite
taille, tout juste derrière la maison natale de Senghor). On n’en parle pas
parce que la famille Senghor a tout bouffé.
Cette maison aussi, c’était là où il y avait
l’arbre sacré du village. Le père de Senghor, c’était quelqu’un qui fréquentait
les blancs, qui avait donc le pouvoir. Or, à l’époque, les gens avaient peur
des gens qui portaient des costumes, qui fréquentaient les blancs. C’est comme
cela qu’il va user de son influence auprès de la famille royale pour occuper
cet espace où est construite la maison natale de Senghor.
Regards croisés réalisés par
Jacques GOMIS et Abdoulaye SIDY
ETIENNE GUIRANE DIENG, CONSERVATEUR DU MUSEE MBIND DIOGOYE A JOAL
Etienne
Guirane Dieng, à peine la quarantaine
est particulièrement loquace quand il reçoit à Mbind Diogoye, des visiteurs qui veulent en savoir plus sur l’enfance de Léopold Sédar
Senghor, son environnement affectif, ses relations avec ses frères, ses sœurs,
cousins et cousines. Les moindres recoins de la maison des Senghor à Joal sont
expliqués dans les détails par ce conservateur
qui a le don de plonger ses visiteurs dans le royaume d’enfance du
président poète. Mais, cette immersion à laquelle il nous convie nous amène à
la découverte de Diogoye Basile Senghor, le chef de famille.
LE DIOGOYE : Qui est
Diogoye Senghor ?
Etienne Guirane Dieng: Comme
beaucoup d’enfants de son âge, le jeune Basile
était particulièrement agité. Par exemple, un jour, en manipulant un
fusil, il perd son indexe. Alors, son père le confie à un couple
métisse dont la dame, infirmière
l’a soigné. Et comme ce couple n’avait pas d’enfants et avait de l’admiration
pour Diogoye, il entreprit de l’adopter. Seulement, le couple se heurte au
refus catégorique des Senghor de leur laisser leur enfant. Malgré tout, le
couple métisse venait chaque soir, « chiper » l’enfant que ses
propres parents allaient récupérer. Et ainsi de suite…Diogoye Senghor était
littéralement devenu un ballon de
ping-pong. Mais, devant l’insistance du couple métisse les parents décidèrent de
céder. Le jeune Diogoye, vivait donc
chez le couple métisse. Ainsi, celui qui deviendra le père adoptif de Diogoye,
Adrien Mourland, grand commerçant de son
état, l’initia aux activités de commerce.
Mais comme le jeune Diogoye Senghor était doté d’une intelligence extraordinaire,
il a fini par surpasser le maître. Il est même parvenu à acheter tout le commerce
du père adoptif. C’est ainsi qu’il est devenu le patron de son patron.
Mourland est décédé quelques années plus tard, et Diogoye Senghor, à l’âge
adulte, a hérité de tous ses biens devenant ainsi l’homme le plus riche de la
zone. Il avait une grande avance par rapport à sa génération au regard même de
sa maison construite vers 1880 ».
D’où est
venu le nom de Basile ?
«Né
animiste, Diogoye est devenu catholique
à l’âge de 29 ans. Il s’appelle désormais Diogoye Basile Senghor. Basile
étant son nom de baptême. Et ce baptême ouvre une nouvelle page de son
histoire. Avant ce sacrement, Diogoye avait déjà épousé sa cousine. N’empêche,
il est allé voir le prêtre pour lui dire qu’il lui faut être polygame. Ce que
le prêtre lui a refusé. Mais, têtu qu’il
était, il a fini par épouser jusqu’à cinq femmes tout en restant un fervent
catholique, mais contestataire. Il a eu au total 41 enfants avec ses 5
épouses ».
Parlez-nous
de son histoire avec Gnilane
«Ce n’est pas par amour que Diogoye, le père de
Senghor a épousé la mère de ce dernier. C’est plutôt par intérêt. Un jour, Diogoye
était avec les sages du village au «Penc». Une dame passe devant cette
place publique où ils étaient regroupés.
Un vieux sage Sérère du nom de Khamat Téning Ndé Yaboune Senghor l’exhorta de tout faire pour épouser cette dame.
C’était la plus moche du village. Sur le coup, la réponse de Diogoye était
catégorique : non ! Mais le vieux sage insistait et comme toujours,
il se heurtait au niet de Diogoye, il
finit par avouer à Diogoye que s’il épousait la dame, ils mettront au monde un
enfant qui fera de Diogoye même, une légende.
Le vieux Khamat a fini par obtenir gain de cause, car, le très puissant
Diogoye va finir par épouser Gnilane alors que cette dernière était en
couple… »
On ne
parle que de Senghor, mais qui sont ses frères ?
« Il est peut être le mieux connu grâce à
son statut de président de la République du Sénégal, mais Léopold Senghor a eu
40 frères et sœurs. C’est juste l’arbre qui a caché la forêt. Avec Gnilane,
Diogoye a eu neuf enfants dont Léopold Sédar. Sur ces 41 enfants, Diogoye a
environ 1200 descendants. Il faut signaler que Léo est le 24ème
enfant de son père et l’avant dernier de Gnilane, sa maman. En outre, presque tous les fils de Diogoye à l’instar
de Léopold ont réussi dans la vie. C’était une famille de cadres qui comprenait
entre autres : Huissier de justice (Charles Senghor), cadre de chemin de
fer (Adrien Senghor l’ainé), mécanicien d’avion (Etienne Senghor), grand
commerçant (Philipe qui a pris le relais pour son père), maire (Pierre Gnilane
Senghor), entre autres ».
Comment
Diogoye s’est installé à Djilor ?
«Diogoye a su, se positionner en grand traitant
dans l’environnement économique d’alors. A 33 ans, il avait déjà trois bateaux.
Avec ses bateaux, il faisait le commerce de l’arachide, du mil et surtout de
l’alcool… Il importait ses bouteilles de vin de la France pour les échanger
avec du bétail. Son commerce était tellement florissant qu’au bout du compte, il ne parvenait même plus à compter le nombre
de ses bêtes. Ce qui l’a poussé à quitter son village Joal, pour aller chercher
du pâturage à Djilor, c’était en 1880.
Il a semé la pagaille dans ce village. De
Djilor à Samba Dia, de Samba Dia à Palmarin, ses terres, s’étalaient sur des
centaines d’hectares. Il a tout
récupéré. A Djilor, le chef de village s’est rebellé; le village s’est scindé
en deux, ceux qui le soutenaient, contre ceux qui en avaient marre de lui. Ces
partisans l’avaient même proclamé chef, alors que le camp adverse a fini par
bouder le village pour aller créer un autre, Yahim, situé à coté de Djilor. Il est resté le seul maître à bord,
à Djilor où il a fini par construire une maison qui lui servait de refuge (lieu
de retraite pendant les weekends) ».
Où est
né, en réalité Léopold Sédar Senghor ?
«Entre Djilor et Joal, c’est une guerre de
positionnement sur les origines du Président poète. Mais Léopold Senghor en réalité est né dans
un village de Joal. Mais les autres pensent que Senghor, c’est pour eux, alors
que nous, nous disons que Senghor n’a rien à voir avec Djilor. Car, Diogoye est
de Joal, il y est né et y a grandi. Son Papa est de Mbour Diouxam et sa maman
de Mbindima (deux quartiers de joal). Il a quitté Joal tout simplement
pour faire fleurir son commerce. Ils ne
veulent pas l’entendre de leur oreille alors que même la maman de Senghor n’est
pas de Djilor, mais plutôt de Djilass. Diogoye lui, a été adopté par une
famille métisse joalienne. En effet, les deux époux métisses se réclamaient
Joaliens par ce que leurs parents sont nés ici à Ndoubab, un ancien quartier
colonial habité par des blancs à l’époque ».
Avez-vous
des archives de la famille Senghor ?
«La seule chose regrettable, c’est qu’il
n’existe pas de souvenir (photos) des femmes de Diogoye. Les seules photos qui
sont restées dans le bâtiment, sont celles de ses enfants. Par contre, Pour
Diogoye, sa photo est unique, et il l’a prise à Dakar. C’était le jour où il
est allé courtiser sa seconde épouse, Catherine Dior Dieng. Elle était Signare,
la fille d’un des plus riches hommes de Gorée du nom de Ndiouga Dieng. Quand il
est allé voir la fille pour la première fois, son futur beau père l’avait viré
de la maison, parce qu’il s’était habillé de façon traditionnelle. Il le taxait
ainsi de «petit paysan sérère». Etant un homme de défi, Diogoye avait décidé de
prendre sa revanche. Il est allé dans un magasin chic à Dakar, pour se procurer
un costume: le plus fascinant, avec un nœud papillon, un chapeau melon, et une canne à la main. Il s’était également payé une grosse pipe
alors qu’il ne connaissait même pas le gout de la cigarette. De retour sur le
lieu de son humiliation, le père de Catherine ne l’a même pas reconnu. Il lui a
d’ailleurs accordé la main de sa fille, le même jour. A son retour à Dakar, il
entre en studio pour prendre «la photo de la victoire ».
Quelles
étaient ses relations son son père ?
« Léopold Sédar Senghor ne pouvait
imaginer qu’une personne puisse avoir des centaines d’hectares à elle seule.
Cause pour laquelle, après son accession à la tête de l’Etat du Sénégal, il a
restitué toutes ces terres à leurs
propriétaires. Léopold Sédar n’avait donc pas la même vision que son
père. Diogoye était un capitaliste et Léopold un socialiste ».
Qu’allez-vous
faire du tombeau du couple Senghor à Joal ?
« Senghor avait déjà fait sa tombe depuis
1982, ici à Joal. Il l’a annoncé dans son poème «Epitaf». Il a voulu que
Philippe soit enterré dans cette tombe
également. Senghor a même signé, en ce sens, un pacte avec son épouse après le
décès de Philipe, son fils bien aimé. Accord disant que, quelque soit le lieu
de sa mort, qu’on l’enterre dans cette tombe qui se trouve à quelques jets de
pierres de sa maison d’enfance. Je peux
vous assurer que, dès que sa femme rendra l’âme, ils seront tous exhumés et
enterrés dans ce tombeau ».
Quelles
relations entretenait Diogoye avec les chefs religieux ?
Léopold Sédar Senghor était un grand ami à
Serigne Babacar Sy. Il a hérité cela de son père qui entretenait des relations
particulières avec tous les chefs religieux du Sénégal. D’ailleurs, certains
pensaient que Senghor s’appuyait sur Serigne Falou pour gagner de l’électorat.
Mais ce sont des relations qui datent de longtemps. Quand Cheikh Ahmadou Bamba
est revenu du Gabon, Diogoye lui a offert le plus grand taureau de son
troupeau. Donc ses enfants ont gardé les mêmes relations. Diogoye a reçu
également, et a deux reprises Cheikh Omar Foutiou Tall à Joal».
Comment
avait-il structuré sa famille?
« Diogoye a réussi, à son époque à
construire une maison qui pouvait même faire office de cour royale. Sa maison
composée de trois bâtiments. Le premier était celui qu’il occupait, le second
celui de ses filles et le dernier était réservé aux garçons. Dans son bâtiment
à lui, il y a un salon et deux chambres à côté, l’une pour lui, et l’autre, une
réception pour ses femmes. Les deux qui étaient à Joal. Car les trois autres
étaient à Djilor. Hormis ces chambres, il existe d’autres pièces dont l’utilité
reste un mystère.
C’est la
seule maison dans Joal qui dispose d’une cave à l’intérieur. Il servait de
grenier. C’est là où il cachait son trésor. Mais c’était également la banque de
Joal par ce qu’il y avait beaucoup plus de sécurité, contrairement aux maisons
en pailles qui brulent facilement. Il était tellement puissant que quand
Senghor avait eu son baccalauréat, il n’avait pas droit à recevoir une bourse
entière de 500 f. Et pour cause, l’administration française lui disait :
tu reçois la moitié (250f) parce que ton père est riche. Dans ses deux bâtisses
(Joal et Djilor), il y avait de la place pour tous ses enfants. Il était un
vrai lion car jusqu’à 80 ans, il continuait à faire des enfants. D’ailleurs, la
différence d’âge entre le premier et le fils cadet, c’est 50 ans... »
Senghor a
t-il été inspiré par son Papa ?
«Le drapeau du Sénégal ce n’est peut être pas
connu, mais c’est Senghor qui l’a fait. Il a dessiné le drapeau, il a inventé
le symbole et les emblèmes, et a écrit l’hymne nationale. Mais sur tout ceci,
Senghor n’a rien inventé, il s’est inspiré
de l’environnement de la maison de son père à Joal. Il a choisi le Lion
(Parce que son Papa s’appelait Diogoye qui signifie Lion en sérère) Dans le
premier chapitre de sa poésie, « Champ d’ombre » il parle de son père
en disant Diogoye «le Lion vert». Pourquoi lion vert? Dans son poème «Joal je
me rappelle», Senghor a écrit: « Joal je me rappelle les signares à
l’ombre verte des vérandas… ».
Justement, les vérandas de la maison sont toutes vertes. Parce que cette
maison, c’était comme le palais de la zone, les soirs, les Signares comme elles
aiment le luxe, venaient se balader sur
la véranda de la maison de Diogoye. C’est pour cela que Senghor a été inspiré
par le vert, également couleur du parti Socialiste. Et sur le drapeau au milieu,
il y a une étoile. Elle n’y était pourtant pas au début. C’était une personne à
la place de l’étoile que l’on appelait Canaga (Signe de fécondité au Mali)
après l’éclatement de la fédération du Mali. Alors, comme on avait les mêmes
couleurs, il fallait trouver un signe distinctif; et Senghor a gravé l’étoile.
Là encore, il s’est inspiré de l’étoile gravée sur le plafond du salon de
Diogoye qui était unique. Quant à
l’autre emblème, le Baobab, c’est celui qui l’a vraiment marqué depuis son
enfance et qui se trouve dans la cour de la maison de son père. Un Baobab qui a
fait 5 siècles environ. Ce baobab était donc comme la mère nourricière de la
maison. Avec la devise un peuple un but une foi, il faisait allusion à la foi
unique, l’animisme. Parce que pour lui, au Sénégal, il y avait 90% de
musulmans, 10% de catholiques et 100% d’animistes».
Léopold
Senghor a-t-il des descendants encore vivants ?
« Senghor s’est marié deux fois dans sa
vie. La première était noire, la fille de Félix Eboué, elle s’appelait Ginette
Eboué. Avec elle, il a eu deux enfants Francis
et Guy. Il a divorcé d’elle en 1955. C’est en cette année qu’il devenait
le premier africain ministre dans un gouvernement en France. Il a, par la suite épousé Colette qui ne lui a donné qu’un seul fils; Philippe
qui est décédé à l’âge de 22 ans. Deux ans plus tard, le second fils Guy, se
suicide. Et le seul qui reste en vie, Francis âgé, aujourd’hui, de 66 ans est un
musicien (Jazzman). Il n’a pas d’enfant.
Comme pour dire Léopold n’aura pas d’autres descendants ».
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