Accéder au contenu principal
30 MILLE ENFANTS EN SITUATION DE MENDICITE FORCEE A DAKAR  

Les raisons profondes d’un mal persistant  

Aujourd’hui encore, 30 mille enfants en situation de mendicité et d’exploitation forcée peuplent les rues de la Capitale, Dakar en violation flagrante d’une kyrielle de lois et Conventions internationales auxquelles le Sénégal a souscrit pour juguler le mal. Des acteurs interpellés invoquent les raisons qui font croire que la lutte contre la mendicité des enfants n'a abouti à rien.


  
Tout un arsenal juridique a été mis en place pour juguler le phénomène de l’exploitation économique par la mendicité des enfants au Sénégal. Il s’agit d’abord de la Constitution sénégalaise de 2001 qui affirme clairement la reconnaissance par notre pays des droits de l’enfant. Au-delà, le Sénégal a adhéré aux traités internationaux tels que : la Convention relative aux droits de l’enfant (Cde) ratifié en 1990 ; la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant ratifiée en 1998 ; le Protocole des Nations Unies visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes en particulier les femmes et les enfants (Palerme 2000) ratifié le 27 octobre 2003 par le Sénégal. La liste n’est pas close. Ajoutez-y la Convention 182 de l’Organisation internationale du travail (Oit) sur l’élimination des pires formes de travail des enfants ratifiée le 1er juin 2000 ; la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée ratifiée en 2003 ; l’Accord multilatéral de coopération en matière de lutte contre la traite des personnes en particulier les femmes et les enfants (Cedeao). L’article 3 de la loi de 2005-06 du 10 mai 2005 qui dispose que «quiconque organise la mendicité d’autrui en vue d’en tirer profit embauche, entraîne ou détourne une personne en vue de la livrer à la mendicité ou d’exercer sur elle une pression pour qu’elle mendie ou continue de le faire est puni d’un emprisonnement de 2 à 5 ans et d’une amende de 500 mille à 2 millions Fcfa». Et plus encore, la chapitre 4 de la même loi sur la protection des victimes et témoins en son article 12 précise que «l’exploitation de la mendicité d’autrui est punie aussi bien d’une peine d’emprisonnement de 2 à 5 ans que d’une amende de 500 mille à 2 millions Fcfa».

Zéro impact au finish  
A l’arrive, le constat du décor des enfants en vêtement misérable, déchiré, sale occupant les rues du matin jusque tard dans la soirée, est le même. La Cellule de lutte contre la maltraitance des enfants rattachée au ministère de la Justice n’en dit pas moins. Elle renseigne dans une étude réalisée en 2014 qu’il y a 30 mille enfants en situation de mendicité et d’exploitation forcée sur l’effectif total de 50 mille enfants présents dans les 1006 écoles coraniques répertoriées dans la région de Dakar. Dans ce lot d’enfants exploités figurent ceux en provenance de la sous région ouest africaine qui représentent 7% des effectifs.  
Nul doute que la véritable solution à la mendicité des enfants au Sénégal n’est pas dans la floraison des textes juridiques, Selon Fatou Dramé, Coordonnatrice d’un projet à Plan International/Sénégal qui lutte contre la mendicité des enfants à Saint-Louis et à Pikine. Selon elle, il y a lieu, pour juguler ce mal, de renverser la perspective en admettant qu’il s’agit là d’une question éminemment sociale. Au-delà de l’aspect juridique, s’attaquer à la base aux fondements sociaux de ce phénomène dont, entre autres, la religion et la tradition. «Il y a une interprétation abusive de la religion musulmane en particulier, ce n’est pas la religion qui demande à ce que les enfants soient exploités dans ce type d’apprentissage. Le Coran s’apprend bien sans pour autant que les enfants soient soumis à la mendicité», soutient-elle. Notre interlocutrice n’écarte pas aussi les causes économiques avec toute la manne financière derrière la mendicité. «Ce qui le montre à suffisance, ce sont toutes les tentatives qu’on a fait pour retourner les daaras dans leurs terroirs, leur donnant des moyens de subsistance, parce que simplement, les marabouts auteurs de traite savent qu’ils gagnent plus en faisant mendier les enfants que plutôt de les soumettre à ce type de programme», martèle l’activiste.

Paradoxe des gens indignés
Dans la dynamique d’application de la loi interdisant la mendicité, les responsabilités sont partagées, selon Mouhamadou Sow Chargé de programme à la Direction des droits de l’enfant au ministère de la Famille. Admettant que la loi est faiblement appliquée au Sénégal, il soutient toutefois que «ceux qui sont chargés d’appliquer la loi sont tout aussi responsables que ceux qui contribuent à l’accroissement du phénomène qui, le matin se lèvent, prennent quelques morceaux de sucre, du pain etc, les donnent aux enfants». «Ces gens-là contribuent à leur exploitation», analyse-t-il.
Selon un sondage récent du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (Unicef), 78,5% de personnes à Dakar déclarent donner régulièrement de l’aumône aux enfants mendiants. Pendant ce temps, 44%  des personnes sondées disent ignorer qu’il y a une loi qui interdit l’exploitation économique et la mendicité des enfants.
Pour Issa Saka, Coordonnateur de projet à l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (Onudc), ceci démontre l’ampleur du travail qui reste encore à faire pour conscientiser les populations, seul gage de l’élimination de la mendicité des enfants. «Si l’état actuel des choses donne l’impression que la lutte contre la mendicité des enfants fait du sur-place, c’est parce que les populations ne sont pas assez sensibilisées sur le phénomène», croit-il savoir.

Défi de la sensibilisation des communautés
Pour certains acteurs de la lutte contre la mendicité des enfants, c’est clair : «Tant qu’on n’a pas réussi à faire comprendre aux populations que la mendicité est une forme d’exploitation, le combat n’est pas gagné». Parmi eux, Issa Saka de l’Onudc qui se dit préoccupé par certains religieux musulmans qui conçoivent la souffrance ou la maltraitance des enfants dans l’apprentissage coranique. «Ce qu’on dit à l’enfant, c’est qu’il doit être humble, endurant. Ce qui fait que certains marabouts ne peuvent pas se départir de ces traditions basées sur la religion», analyse l’agent onusien. Il estime qu’il faut travailler plus sur la sensibilisation «pour réussir à ce que l’amalgame soit cassé». Selon lui, l’application de la loi passe par l’adhésion des communautés à ce que la loi en question cherche à régler. «Les lois sont censées s’appliquer sur les communautés qui, si elles ne les comprennent pas, les rejettent», avertit Issa Saka. Mouhamadou Sow de la Direction des droits de l’enfant du ministère de la Famille d’ajouter  que bien que la loi n’interdit pas aux citoyens de donner de l’aumône, ces derniers  doivent être conscients que tout enfant qui reçoit d’eux un bout pain et deux morceaux de sucre est un enfant auquel ils contribuent à son asservissement». 
Entre ceux qui veulent finir avec la mendicité des enfants et ceux qui s’en réjouissent, le rapport de force désavantage les enfants, constate pour sa part Bastian Kluft, directeur Programme et qualité à Save the Children. «Si la force qui veut les amener et le maintenir à l’école est plus forte que la force qui les maintienne dans la rue, il va y avoir un changement positif», espère-t-il. Car, pour lui, la majorité est d’accord que ce n’est pas bien que les enfants soient dans la rue ; que ce n’est pas bien non plus que les enfants n’aillent pas l’école. «Mais à côté, regrette-t-il, il y a une puissante minorité qui n’est pas de cet avis et cela, à cause de pesanteurs socioculturels très importants au Sénégal comme au Mali voisin». De l’avis de Fatou Dramé de Plan International/Sénégal, il faut travailler avec la communauté pour avoir une masse critique de gens indignés. De là, partira sans doute le déclic, s’assure-t-elle. «Quand il y aura assez de gens indignés qui veulent que cela change, ils ont la capacité d’interpeller l’Etat, c’est sûr que, en ce moment, l’Etat sera obligé de répondre à cette demande sociale».
Abdoulaye SIDY


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

PERCEPTION DES BOURSES A L’UCAD

Le busines des « apprentis coutiers » devant les guichets de paiement Le circuit de paiement des bourses scolaires à l’Ucad est de plus en plus dense. Etudiants, payeurs et vigiles se livrent à un courtage insoupçonné pour se tailler leur part du marché, quand bien même aucune partie ne veut être à l’indexe. Campus universitaire Cheikh Anta Diop de Dakar, au rez-de-chaussée du pavillon D, s’égosillent des groupes d’étudiants aux portillons qui servent de guichets de paiement. Dans une bousculade indescriptible de part et d’autre du bâtiment qui converse avec la mosquée de ce temple du savoir,   la cacophonie brouille le calme observé au lieu de culte. Mais, ici comme ailleurs au pavillon I ou au Camp Jeremy, l’ambiance est identique. La guerre des affiches entre listes officielles et parallèles fait rage aussi : « Paiement Faseg : le 25 mars 2011. Liste ouverte à la 416 A. Nb : ‘’Daw Thiow’’ »  ; « Mardi 22 mars 2011. Lots 1 et 2 rappel ouverts au 303 A. Nb : Kouko Khottiwatt dina
CENTRALE À CHARBON DE SENDOU   Un désastre pour les communautés locales  A la veille de la 5 ème réunion extraordinaire du Conseil des gouverneurs du Groupe de la Banque Africaine de Développement (Bad) ce jeudi 31 octobre à Abidjan, Lumière Synergie pour le Développement (LSD), WoMin African Alliance  et Gender Action, entre autres organisations de la société civile, se font l’écho de l’appel des femmes de Sendou qui demandent à la banque de tenir ses promesses et d’arrêter la centrale à charbon en pleine crise climatique.  Alors que la crise climatique s'aggrave sur le continent africain, le moment est venu pour la BAD d'agir, déclarent, dans un communiqué, Lumière Synergie pour le Développement (LSD), WoMin et Gender Action, faisant écho aux appels des femmes de Bargny. Ces organisations de la société civile appellent la BAD à entamer une consultation communautaire à part entière, particulièrement avec les femmes, à écouter directement leurs points de vue
LA SAGA D’UNE FAMILLE EMBLEMATIQUE Senghor : une naissance, deux versions C’est un véritable jeu de ping-pong entre Djilor et Joal autour de la naissance de Léopold Sédar Senghor. Si à Djilor, on croit dur comme fer que le président-poète y a vu le jour, à Joal, c’est tout le contraire qui est soutenu. Dans ces deux entretiens qui vous sont proposés sous forme de regards croisés, on est allé à la découverte de Diogoye, le père, Gnilane Bakhoum, la mère et des autres ascendants de Senghor. Une histoire jamais racontée par le passé.   DJIBY DIOUF, TABOR DE SENGHOR A DJILOR DJIDIACK Très actif dans l’écotourisme à Djilor, Djibril Diouf, 53 ans, est de la lignée matriarcale de Léopold Sédar Senghor connue sous l’appellation en Sérère de Tabor. Après 17 ans passés en France, il travaille aujourd’hui autour du royaume d’enfance du premier président de la République du Sénégal, Léopold Sédar Senghor.   Le DIOGOYE : Comment vivez-vous la rivalité saine avec  J