INTERDICTION DE L’AVORTEMENT AU SÉNÉGAL
Une «violation flagrante» des dispositions de la Constitution ?
Laloi pénale sénégalaise considère l’avortement provoqué comme une infraction grave. En effet, l’article 305 du Code pénal prévoit contre ses auteurs des peines d’emprisonnement allant de six mois à trois ans et/ou des amendes de 50 mille à un million de Fcfa. Une législation nationale qui entre, cependant, en conflit avec la Constitution du Sénégal, notamment en son article 98 qui dispose que «les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois». En fait, le Sénégal a ratifié depuis 2004 le protocole à la Charte africaine aux droits de l’Homme et des peuples relatif aux droits de la femme en Afrique qui, en son article 14, met à la charge des Etats parties l’obligation de donner accès à l’avortement aux femmes et aux filles porteuses de grossesses. Ce, suite à un viol, inceste ou toute autre agression sexuelle, ou lorsque la santé mentale ou physique de la femme, de la fille enceinte ou du fœtus est menacée. Malgré ces dispositions claires et précises de l’article 98 de la Constitution, l’interdiction de l’avortement demeure le principe au Sénégal. Ce qui constitue, aux yeux de plusieurs organisations pour la promotion et la défense des droits humains, une «violation flagrante» des dispositions de la Constitution.
L’infanticide et la prison : la réponse à l’illégalité
A cause de cette interdiction et, n’ayant pas d’autres solutions légales, alertent ces droit-de-l’hommistes, les femmes et les adolescentes porteuses de «grossesses imposées», ont recours à l’avortement clandestin ou l’infanticide. Les plus chanceuses voient ainsi leur parcours scolaires subir un coup de frein si elles ne sont pas définitivement exclues des bancs de l’école. Les moins fortunées finissent en prison. Une étude réalisée par l’Institut Guttmacher publiée en Avril 2015(la plus récente)estime en moyenne le nombre d’avortements provoqués au Sénégal à 51.500.Et selon le rapport de l’Association des juristes sénégalaises (Ajs) réalisé en partenariat avec le Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme sur la situation carcérale des femmes au Sénégal publié au mois de mars de la même année, l’infanticide constituait 19%des causes d’incarcération des femmes et l’avortement en représentait 3%.
Le sursaut d’énergie des droit-de-l’hommistes
Au vu des chiffres alarmants, plusieurs associations et organisations pour la promotion et la défense des droits humains ont décidé de mettre en place un comité technique pluridisciplinaire, dénommé la Task-force. Lequel estchargé de mener des stratégiesvisant à informer les décideurs et le public sur la problématique de l’avortement à risque et parvenir à un changement social et à terme de la réforme de la loi sur l’avortement. C’est à cet effet qu’il sera organisé très prochainement à Dakar un atelier d’échanges et de sensibilisation à l’attention des journalistes dont l’implication, dit-on, est nécessaire pour un meilleur traitement de l’information relative à l’avortement médicalisé. Il est attendu de ces derniers qu’ils soient mieux sensibilisés sur l'importance d'améliorer l'accès aux services d'avortement médicalisé ; sur l’environnement juridique, les argumentations de l’Islam ainsi que sur les données précises et fiables sur l’avortement. De même, il s’agira de mettre en exergue les avantages que l’accès accru à un avortement sans risque peut avoir pour la société et les femmes et les filles en particulier.
Abdoulaye SIDY
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