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[DOSSIER 1/4] Covid-19 : Quand les fake news grippent la vaccination

 Sans aucun doute, la désinformation a freiné la vaccination contre la Covid-19. Malgré la disponibilité de plusieurs vaccins au Sénégal, le bilan est peu reluisant, 10 mois après le démarrage de la campagne. Les populations sont toujours méfiantes et les rumeurs persistent. Malgré une communication intense, les autorités peinent à dompter les fake news.



Ce qu’on craignait est arrivé. La psychose a fini de s’installer. Le doute semble triompher. «Les vaccins SinoPharm et AstraZeneca ont déjà causé la mort de trois personnes au Sénégal», avait barré à sa Une un quotidien de la place dans sa livraison du 16 avril dernier. Les anti-vaccins «jubilent». Ils avaient «alerté». De l’autre côté, les services du ministère de la Santé s’empressent de démentir. Une conférence de presse est vite organisée pour tuer la rumeur dans l’œuf. «Depuis qu’on a commencé la campagne de vaccination, aucune personne n’est décédée après avoir pris un vaccin, que ce soit le SinoPharm où l’AstraZeneca. Nous demandons à la population de se faire vacciner et de respecter leur rendez-vous pour leur seconde dose», supplie le Directeur de la Prévention, Docteur El Hadji Mamadou Ndiaye. Rien de convainquant apparemment !

C’est donc au tour de l’ancien Directeur général du Service National de l’Education et de l’Information pour la Santé (Sneips), Ousmane Guèye d’apporter quelques éclaircissements sur les trois supposés décès causés par les doses de vaccins. « Je crois qu’aujourd’hui aucun décès ou bien aucune étude n’a encore signifié une relation entre ces morts et ces vaccins. Pas, pour le moment. Par conséquent, on ne peut pas lier ces vaccins aux décès. Ce n’est pas possible », dément ferme, Dr Guèye, joint par téléphone. Ouf de soulagement !

«Une campagne de vaccination brouillée par des rumeurs et supputations avant même son démarrage»


Le Sénégal a entamé sa campagne de vaccination, le 23 février 2021, soit moins d’un an après l’apparition du premier cas de coronavirus sur le territoire national, précisément le 2 mars 2020. Une campagne brouillée par des rumeurs et supputations avant même son démarrage. Il faut dire aussi que les atermoiements et contradictions entre les Etats et les institutions internationales n’ont pas du tout aidé. Toutes choses qui rendent difficile l’atteinte des objectifs.

Tout a commencé en Autriche quand deux infirmières ont été hospitalisées dans un état grave après avoir reçu le vaccin d’AstraZeneca. Le spécialiste en épidémiologie et santé publique, Docteur Abdoulaye Kébé Dia d’indiquer que l’une des patientes est décédée à cause de troubles graves de coagulation (thrombose). Des pays ont suspendu la vaccination avec le lot de vaccin concerné.

Ensuite, c’est au tour du Danemark de suspendre cette fois-ci totalement les vaccins d’AstraZeneca après avoir constaté les mêmes troubles graves de coagulations avec au moins un décès chez certains patients ayant pris le même vaccin. Dans un premier temps, l'Allemagne et la France ne voulaient pas adopter le principe de précaution. Mais, ils ont fini par le faire. L’Allemagne avait constaté sept cas de thrombose. Parmi les sept patients, trois sont décédés.

Pendant que les Etats suspendent la vaccination, l’Organisation Mondiale de la Santé, elle, l’encourage. Le 17 mars dernier, l’Oms s’est prononcée en faveur de la poursuite de la vaccination. Un jour plus tard, c’est autour de l’Agence européenne du médicament de réaffirmer que le vaccin d’AstraZeneca était sûr. Le Sénégal ne suspend pas. Le ministère de la Santé demande aux personnes ciblées d’aller se faire vacciner, de conserver leur carte de vaccination et de ne pas oublier le second rendez-vous.

Les allégations sur les vaccins

Marianne Diatta a entendu l’appel lancé par l’autorité. Agée de 34 ans, originaire de Ziguinchor, cette ménagère a pris toutes ses deux doses d’AstraZeneca. Trouvée en train de s’affairer aux préparatifs du déjeuner, la demoiselle à le sourire aux lèvres, malgré la chaleur qui a fini de dicter sa loi dans la cuisine : «C'est d'abord une question de choix et de santé. Les spécialistes ont prouvé que les vaccins protègent contre les formes graves de la maladie. J'ai choisi d'adopter cette prévention plutôt que de me retrouver dans un lit d'hôpital ». En outre, cette interlocutrice, dit vouloir protéger les membres de ma famille, en particulier son père qui a une comorbidité. « Je ne veux pas mettre en danger la vie de mon entourage », lance-t-elle, le visage perlé de sueurs.

Quant aux fake news, elle n’en a cure. Marianne connaît par cœur les allégations, mais n’a jamais été influencée. «Il y a eu énormément de rumeurs avec ces vaccins. Pour certains, ils causent des thromboses. Pour d'autres, elles perturbent le cycle menstruel des femmes. D'aucuns soutiennent que toutes les personnes vaccinées vont mourir d'ici 2 ans. Il y en a qui soutiennent qu'ils rendent les hommes moins virils », énumère-t-elle.

Journaliste dans une radio communautaire à Pikine, dans la banlieue dakaroise, Mbagnick Diouf a également pris ses deux doses de Sinopharm. Spécialisé dans le traitement des informations sanitaires, il déplore la pléthore de fake news autour de la Covid-19. La cinquantaine bien sonnée, les cheveux poivre-sel, il rejette la faute, en partie, à «un éminent scientifique ». « Il disait que ceux qui ont pris le vaccin mourraient dans un an », fulmine-t-il.

Le journaliste trouve étrange que des gens aillent jusqu’à affirmer que le vaccin transforme l’humain en animal. Sans compter les autres allégations. « Il y a même des gens qui disaient que c’est une façon de réduire les naissances et de contrôler la population mondiale. Ou encore que c’est pour éliminer les Africains parce qu’ils sont très nombreux », inventorie ce professionnel des médias qui n’oublie pas de mentionner la supposée perte d’appétit sexuel causée par le vaccin.

Macky Sall menaçait : «Si on ne prend les vaccins, moi je vais les donner à d’autres pays africains qui en ont besoin tout simplement»


Basé dans la région du Sud depuis quelques années, cet agent dans une structure étatique ne s’est pas encore vacciné. Pour autant, il est loin d'être un anti-vaccin. «Je me donnais juste le temps d'en savoir un peu plus. Le curseur n'a jamais été mis sur la scientificité ou la fiabilité du vaccin », martèle-t-il.

Selon lui, ce sont juste des laboratoires pharmaceutiques qui font des communiqués de presse pour commercialiser et des États qui font des commandes. « Cela m'a beaucoup fait douter aux premières heures. Et je me suis dit que je vais me faire vacciner le jour où ce sera obligatoire via le pass sanitaire », fait-il savoir, très occupé à faire le compte-rendu d’une réunion tenue juste quelques heures avant l’entretien.

Malgré son statut de non vacciné, cet agent fustige les fake news. A son avis, les morts subites, les effets secondaires ou le manque de virilité, attribués au vaccin ne reposent sur rien. «C'est la stratégie des théoriciens du complot », regrette-t-il, justifiant au passage son scepticisme par «l'absence d'un vrai débat scientifique autour des vaccins ».

Le Président de la République Macky Sall avait même menacé de donner les vaccins à d’autres pays, le 25 février dernier, après avoir reçu sa dose. «Le ministère de la Santé et de l’Action sociale, Abdoulaye Diouf Sarr, le président du Conseil économique social et environnemental, Idrissa Seck, tout le gouvernement de la République, se sont vaccinés. Donc, nous devons donner l’exemple et nous l’avons fait. Il faut que les autres suivent. Ce serait dommage qu’on ne prenne pas les vaccins. Si on ne les prend, moi je vais les donner à d’autres pays africains qui en ont besoin tout simplement », a-t-il laissé entendre, tout bonnement. Avant d’arguer: « Mais, j’espère qu’on ne va pas en arriver là ».

Agent de santé : «Les gens ne viennent plus. Ils ont eu des échos que la maladie a baissé, raison pour laquelle ils n’ont plus cette envie de prendre leur dose»


Niché dans le village de Boune (Commune de Keur Massar), cet établissement sanitaire privé ne désemplit pas. Certains patients sont venus se faire soigner, là où d’autres sont à la recherche d’un lieu dédié à la vaccination. La peur du variant Delta à l’origine de la 3ème vague de Covid-19 demeure. Quoique l’activité soit au ralenti depuis la baisse de nouvelles contaminations suite aux bilans livrés au quotidien par le ministère de la Santé.

Entre consultations et suivi des malades internés, l’infirmier d’Etat, à l’aise dans sa blouse blanche, raconte son «calvaire» afin de convaincre les populations à aller se faire vacciner. D’emblée, il confirme que la vaccination est au ralenti. «Les gens ne viennent plus. Ils ont eu des échos que la maladie a baissé, raison pour laquelle ils n’ont plus cette envie de prendre leur dose». L’homme rappelle qu’avant la 3ème vague, les populations soutenaient que les vaccins pouvaient provoquer d’autres maladies. Qu’on inocule des pathologies dans le système immunitaire. « Le cas de décès du vieux à Yeumbeul causé par AstraZeneca, selon certains dires, a empiré la situation», fait-il remarquer.

L’agent de santé affirme avoir pris ses deux doses et déclare être bien portant. «Je n’ai pas eu d’effets secondaires. Ainsi, je passe tout mon temps à conscientiser et à orienter les habitants en prenant exemple sur moi. S’il le faut, je leur montrerai ma carte de vaccination», s’engage-t-il, l’air un peu gêné.

Dans cette zone, la vaccination n’occupe presque plus les débats. En cette matinée du mois de novembre, le soleil commence à darder ses rayons. Chacun vaque à ses occupations. Un groupe de femmes commente une émission de faits de société, diffusée la veille à la télévision. Elles sont toutes des vendeuses de légumes dans le petit marché du coin.

Approchée, Fatou Sall, emmitouflée dans un boubou bleu, le foulard de tête mal noué et qui finit par tomber à cause d’un gestuel abondant, ne veut même pas parler de la vaccination. « Je ne vais jamais me faire vacciner. En plus, je suis diabétique et parfois je suis hypertendue. Donc, je ne vais pas prendre ce risque. On a entendu les morts dus aux vaccins », affirme la commerçante, très sûre d’elle. A la question de savoir si elle avait la preuve de ses allégations, elle clôt la discussion prétextant donner plus d’importance à une cliente qui venait d’arriver.

Ce qui pourrait pousser les populations à aller se faire vacciner

A quelques encablures de leurs étals, se situe la maison d’un des responsables du quartier Sant Yalla de Boune. Lui a été un anti-vaccin avant de devenir un pro. «Depuis le début de cette pandémie, je ne rate pas beaucoup les informations. Cependant, à un moment, j’avais des doutes suite aux multiples déclarations. Comme je déteste la polémique. J’ai décidé de rester chez moi le temps d’y voir plus clair. Mais, la 3e vague ne m'en a pas laissé le temps et j’avais l’impression que j’avais la Covid-19 vu que les symptômes étaient là. Finalement ma fille m’a emmené au poste de santé de la localité », explique ce vieux de 71 ans, le corps frêle.

Une fois arrivé à la structure, le vieux a eu du mal à croire à ses yeux.  Lui qui appartient à la tranche d’âge la plus exposée a trouvé des jeunes et des femmes dans l’attente d’une dose. De quoi l’inciter davantage à intégrer les rangs. « J’ai attendu longtemps avant de pouvoir prendre ma dose unique de Janssen (Johnson & Johnson). Depuis, je mène une campagne de sensibilisation autour de moi et on a vu qu’avec les vaccins, les cas positifs diminuent, les décès aussi».

Le ministre de la Santé et de l’Action sociale, Abdoulaye Diouf Sarr, a rappelé, le 16 novembre dernier, que «nous ne sommes pas à l’abri d’une quatrième vague». «Le Sénégal est doté d’une stratégie de vaccination. Présentement le pays est assez bien doté de vaccins. Nous avons tous les vaccins sauf Moderna, donc il faut aller se faire vacciner pour éviter la péremption massive », a-t-il exhorté. Plus de 250.000 doses de vaccins contre la Covid sont périmées face à la réticence de la population, selon le Directeur du Programme élargi de vaccination, Docteur Ousseynou Badiane.

Une faute que Marianne Diatta impute en partie aux autorités qui, selon elle, doivent communiquer plus et mieux sur les risques de la non-vaccination. Mais également sur les avantages du vaccin. Elle laisse entendre : «Si ces fake news sont véhiculées sans qu'il y ait des réponses claires, cela prend de l'ampleur. Ce qui explique le fait que les gens croient plus à ces rumeurs. L’autre stratégie, c'est l’instauration du passe sanitaire. C'est un bon point pour pousser la population à se vacciner».

source: seneweb.com

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